Comment a été réalisée cette carte de Caen pendant la Révolution française ?
Cette carte a été faite dans le cadre d’une thèse sur les enquêtes de police à Caen pendant la Révolution française11. Félix Brêteau, (…) . Je voulais un outil pratique et simple pour suivre les policiers caennais dans la ville, repérer leurs lieux de travail, d’habitation et leurs circulations lors de leurs enquêtes judiciaires. Je souhaitais une vision claire et de surplomb de la ville. La représentation mentale de la ville de Caen était d’autant plus difficile que la ville a été profondément modifiée par de nombreux travaux et aménagements du XIXe au XXIe siècle, ainsi que par les bombardements alliés lors de la Libération en 1944.
Tout d’abord, cette carte est fausse. Toute carte est faite de choix, d’erreurs et d’interprétations du réel. Le premier souci a été de faire tenir plus de dix ans sur une même carte. La thèse s’étale chronologiquement de 1789 à 1799. Or, toute ville est dynamique et bouge dans le temps. Des bâtiments sont démolis, d’autres changent de noms ou de propriétaires et plusieurs « états de siège » de la ville en modifient l’espace22. Les états de si (…) . Enfin, les usages d’un même bâtiment changent selon les événements. Par exemple, le couvent des Bénédictines sert en 1793 au club des Jacobins pour tenir séance, puis devient tour à tour, prison pour religieux réfractaires, maison de discipline, magasin militaire, hôpital militaire avant de finir en temple protestant en 1803. Tout cela figure sur la carte.
Cette carte est fausse et reste à améliorer, préciser, compléter. Les mentions trouvées dans les archives ou sur les cartes et plans, parfois contradictoires, peuvent être approximatives ou erronées.
Pour cette raison, des nombreuses hésitations sont présentes sur la carte avec des points d’interrogation. Par exemple, quatre barrières sont posées sur les grandes routes arrivant à Caen. J’ai essayé de les faire figurer à un endroit probable sur les grands axes qui mènent à la ville. Il se trouve aussi des figurés pour localiser un lieu dans une rue sans pourtant le situer de manière sure, n’ayant pas l’adresse exacte dans ladite rue.
Pour dresser cette carte, j’ai utilisé le logiciel de cartographie QGIS avec comme plan de départ le cadastre disponible en ligne sur le site des Archives départementales du Calvados33. Archives du Cal (…) . Ce dernier se base sur le tableau d’assemblage des différentes « sections » de la commune de Caen44. AD 14 – 3P/1932 (…) . Le cadastre dit « napoléonien » daterait de 1810 selon le site des archives. Pourtant, si sur ce document la préfecture, opérationnelle entre fin 1810 et début 1811, est bien présente, l’abbaye aux Dames (ou abbaye de la Sainte-Trinité) est désignée comme « Hôtel-Dieu » alors que l’abbaye ne se transforme en hôtel-Dieu qu’à partir de 1821. Le cadastre est donc postérieur à la Révolution et à 1821. Il faut préciser que le tableau d’assemblage du cadastre est orienté de manière à ce que le Nord soit à droite et non pas en haut.
Le cadastre est à échelle, chose rare sur les cartes de l’époque moderne, et reste le plan le plus proche de la Révolution sur le plan chronologique.
Une fois le tableau d’assemblage utilisé pour dessiner les rues et le bâti, les noms des rues et des bâtiments importants (églises, ponts, places...) ont été ajoutés. Pour plus de précisions, j’ai regardé chaque section ayant servi au tableau d’assemblage, soit les 27 sections disponibles du cadastre55. Toutes les « se (…) . Une fois cela accompli, de nombreuses rues ou noms de bâtiments étaient manquants. J’ai ainsi consulté les cartes suivantes, disponibles sur Gallica et titrées ainsi qu’il suit :
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Le vray pourtraict de la ville de Caen en 158566. Mancel éditeur, (…) ;
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Caen. Jacques Gomboust, ing. du roi, delin77. Jacques Gombous (…) ;
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Plan de la ville et chateau de Caen88. De Sainte-Colom (…) ;
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Plan de la ville de Caen / levé par Etienne, graveur à la fin du XVIIIe siècle. Vue générale de la ville de Caen prise du Moulin au roi en 183599. Etienne (17- ; (…) ;
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Plan de la ville et du château de Caen en Normandie, Mis au jour par N. de Fer géographe de sa Majesté catolique et de Monseigneur le Dauphin avec privilège du Roy1010. Nicolas de Fer (…) ;
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Plan de la ville de Caen dressé par P Leclere 18151212. Pierre Leclere, (…) .
Les sections représentent le découpage de la ville qui remplace les paroisses pendant la Révolution1313. Il faut précise (…) . Pour cela, la cote des archives départementales du Calvados F/3211, complétée avec la cote 615EDT/574 donnent de précieuses informations sur leurs limites1414. AD 14 - F/3211 (…) . Ces informations ont été recoupées avec la carte très schématique du livre Genèse d'une ville moderne, Caen au XVIIIe siècle de Jean-Claude Perrot1515. Jean-Claude Per (…) . Des incohérences entre les documents ont obligé à trancher arbitrairement sur les limites de certaines sections entre elles. En effet, les livrets et documents d’archives expliquant les délimitations des sections sont destinés à un public de contemporains habitant la ville et connaissant ses habitants1616. Par exemple, po (…) .
Pour compléter les bâtiments, leurs usages et les noms des rues, le précieux livre de Pierre Gouhier, Caen, Caennais, qu'en reste-t-il ?, puis le guide touristique de 1860 de François-Guillaume-Stanislas Trébutien ont été mis à contribution1717. Pierre Gouhier, (…) . De plus, un tour des écrits des contemporains de la Révolution à Caen a été fait, suivi de leurs commentaires par les historiens et érudits normands du XIXe et début du XXe siècle1818. Pour la Révolut (…) .
Précisons que chaque rue est renommée pendant la Révolution selon un programme politique, moral et pédagogique, en suivant un processus de déchristianisation. Par exemple, la rue Saint-Jean devient rue de l’Égalité, la rue Saint-Étienne devient rue Descartes ou la rue Froide devient rue du Commerce. Je voulais garder sur la carte les deux noms, pour maintenir une continuité et une meilleure lisibilité de l’espace urbain. Même si les noms de rues changent pendant la Révolution, les contemporains, par habitude ou oubli, utilisent encore, volontairement ou accidentellement, les anciens noms des rues.
Enfin, j’ai confronté toutes les notes prises dans les archives judiciaires pour ma thèse à la carte, en particulier pour indiquer les usages des bâtiments et les toponymes. Les noms de rues, les usages des bâtiments ou les limites des sections ont ainsi été complétés, faisant parfois apparaître des contradictions, une fois encore1919. J’utilise toute (…) .
Malgré la somme conséquente de mentions dans les archives, des rues présentes uniquement sur le cadastre étaient parfois indiquées. Quelques rues peuvent être également postérieures à la Révolution. Les chemins et routes dans l’espace rural de la commune changent également de dénomination entre le tableau d’assemblage du cadastre et les plans des sections cadastrales. Si aucune autre information ne pouvait trancher, le choix n’a pas été fait et les deux noms sont mentionnés.
Ce document n’est donc pas exhaustif. Il manque par exemple des localisations de cimetières ou des usages de certains bâtiments. Des incohérences peuvent naître avec des dates imprécises ou qui se chevauchent pour l’usage d’un même bâtiment.
La carte a ensuite été minutieusement travaillée avec Pierre-Yves Buard du pôle document numérique de la MRSH de Caen qui a permis de faire passer la carte du logiciel QGIS à sa forme numérique. Ce travail est donc plus une réalisation à quatre mains et je lui dois beaucoup.
Ce projet n’aurait pas été possible sans de nombreux soutiens. Tout d’abord, je tiens donc à remercier Pierre-Yves Buard, celui sans lequel cette carte serait resté un document QGIS sur mon ordinateur de bureau. Par son travail, son savoir-faire et nos longues conversations, la carte a pu être mise en ligne et à disposition. Qu’il en soit, encore une fois remercié. Merci à Capucine Frouin et Gaëtan Brêteau pour leur patience et leur aide à l’apprentissage du logiciel QGIS. Je souhaite également remercier les membres de Cadomus, en particulier Michaël Biabaud, pour leurs conseils, leur écoute et l’aide pour la localisation de plusieurs bâtiments, ainsi que par leur mise à disposition de nombreuses photographies2020. Voir leur site (…) . Je remercie aussi le personnel des Archives départementales du Calvados pour les photographies de meilleure qualité du cadastre que celles mises en ligne. Merci à Antoine Dauvin, fraîchement docteur en histoire moderne et guide-conférencier à l’Abbaye-aux-Dames, pour ses conseils, ses prêts et dons de livres (dont celui quasi-introuvable de Pierre Gouhier), et surtout son amitié. Merci enfin à Anne de Mathan et Thomas Hippler, directrice et directeur de thèse, pour leurs conseils et leur supervision du projet, ainsi qu’au laboratoire HisTeMé.
Félix Brêteau, Enquêter à Caen, pendant la Révolution (1789-1799). L’enquête pénale comme production d’un dispositif de rationalité administrative d’État, Thèse en préparation, Caen-Normandie, Caen, 2020.
Les états de siège successifs provoquent des modifications de l’espace urbain. Ils bouchent des rues, en fortifient d’autres, creusent des fossés ou détruisent des ponts.
Archives du Calvados, https://archives.calvados.fr/, (consulté le 4 février 2022).
AD 14 – 3P/1932 : Tableau d’assemblage, https://archives.calvados.fr/ark:/52329/bgrts796nj3f?naan=52329&arkName=bgrts796nj3f, (consulté le 4 février 2022). J’ai également eu accès à des photographies du tableau d’assemblage et des sections de meilleure qualité grâce à la gentillesse du personnel des Archives départementales du Calvados.
Toutes les « sections » servant au tableau d’assemblage du cadastre sont disponibles sur : Cadastre - Recherche, https://archives.calvados.fr/search/results?formUuid=dfc4e27b-4f7e-431e-b413-655e793be3b7&sort=relevance&mode=list&controlledAccessGeographicName%5B0%5D=Caen%20%28Calvados%29&controlledAccessPhysicalCharacteristic%5B0%5D=plan%20cadastral&date=&period_begi, (consulté le 4 février 2022).
Bien que non consultables, les sections sont regroupées aux cotes : AD 14 - 3P/1932 et 3P/1933
Mancel (éditeur), Le vray portrait de la ville de Caen en 1585, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8443262w, 1585, (consulté le 4 février 2022).
Jacques Gomboust, Caen. Jacques Gomboust, ing. du roi, delin, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84409698, 16.., (consulté le 4 février 2022).
De Sainte-Colombe (cartographe), Plan de la ville et chateau de Caen, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53010834k, 1684, (consulté le 4 février 2022).
Etienne (graveur), Plan de la ville de Caen / levé par Etienne, graveur à la fin du XVIIIe siècle. Vue générale de la ville de Caen prise du Moulin au roi en 1835, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8442720z, 17.., (consulté le 4 février 2022).
Nicolas de Fer (auteur du texte, 1647?-1720) et F. Avuray (dessinateur, 17?-17?), Plan de la ville et du château de Caen en Normandie, mis au jour / par N. de Fer ; F. Avuray delin., https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8440153n, 17.., (consulté le 4 février 2022).
Philippe Buache (cartographe, 1700-1773) et de La Londe (cartographe, 17?-17?), Plan de la ville de Caen, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b530111632, 1747, (consulté le 4 février 2022).
Pierre Leclere, Plan de la ville de Caen, par Leclere, https://archives.calvados.fr/ark:/52329/hjftbzwk5nx2?naan=52329&arkName=hjftbzwk5nx2, 1815, (consulté le 4 février 2022).
Il faut préciser que les 5 sections de la ville de Caen pendant la Révolution qui servent de découpage administratifs, judiciaire, fiscal, etc., ne sont pas les mêmes sections que celles utilisées pour dresser le cadastre, ces dernières ayant été utilisées par commodité, sans aucun lien avec les sections révolutionnaires précédentes.
AD 14 - F/3211 « Division de la ville de Caen en cinq sections » ; et AD14 – 615EDT/574, en particulier les dossiers « Croquis de la division de la ville en sections (1790) » ainsi que « Nouveaux noms donnés aux rues de Caen à la Révolution (1793) ».
Jean-Claude Perrot, Genèse d’une ville moderne, Caen au XVIIIe siècle, Paris, Éditions des hautes études en sciences sociales, 1975, page 42.
Par exemple, pour délimiter la section de l’Université, le document AF 14 – F/3211 donne pour information : « Et depuis l'encoignure de la Venelle-aux-chevaux, N°48, maison du sieur Hébert mercier, jusqu'au N°32, maison du sieur Lentaigne, en face de ladite Halle ».
Pierre Gouhier, Caen, Caennais, qu’en reste-t-il ?, Le Coteau, France, Horvath, 1986, 287; 4 p ; François-Guillaume-Stanislas Trébutien, Caen, Son histoire, ses monuments, son commerce et ses environs, Guide du touriste, Caen, Le Blanc-Hardel, 1860, 400 p., en particulier les pages 269 et 270. Voir aussi : Eugène de Beaurepaire et Paulin Carbonnier, Caen illustré, Son histoire, ses monuments, Marseille, France, Laffitte Reprints, 1977 [1896], vii+538 p ; Félix Mourlot, La fin de l’Ancien Régime et les débuts de la Révolution dans la généralité de Caen (1787-1790), Paris, Société de l’histoire de la Révolution française, 1913, cxii+548; 2 p ; Gabriel Vanel, Une Grande ville aux XVIIe et XVIIIe siècles, La vie publique à Caen, Mœurs et coutumes, Caen, France, Louis Jouan, 1910, vol.I, 358 p.
Pour la Révolution racontée par ses contemporains, il y a les mémoires de Laurent Esnault et de Victor Dufour publiés dans : G. Lesage, Épisodes de la Révolution à Caen racontés par un Bourgeois et un Homme du peuple, Paris, Librairie Ernest Dumont, 1926, 193 p ; voir aussi : Jean-Baptiste Renée, Les souvenirs de J.-B. Renée sur la révolution à Caen (1789-1793), Caen, France, Imprimerie A. Olivier, 1934 [1789–1793], 72 p ; Frédéric Vaultier, Souvenirs de l’insurrection normande dite du Fédéralisme, en 1793, Caen, France, Le Gost-Clérisse, 1858, xxx+322 p.
J’utilise toutes les sources disponibles issues du tribunal criminel, du tribunal correctionnel et du tribunal de police, ainsi que les archives municipales déposées aux Archives départementales du Calvados.
Voir leur site : http://www.cadomus.org/